Ça y’est, j’ai décidé de reprendre cette newsletter et d’en faire un rdv hebdo ! Désormais, vous allez recevoir de mes nouvelles tous les dimanche. Je vais traiter chaque semaine un sujet sur la cuisine chinoise, au sens large. Cela veut dire qu’on parlera bien sûr d’ingrédients, de recettes mais souvent à travers le prisme des sujets qui m’intéressent : l’écologie, la société, l’histoire, la géopolitique et la technologie. Une newsletter culinaire pour les esprits curieux en somme !
Pour la reprise, j’ai envie de commencer par un sujet plus personnel mais néanmoins fondamental : ma vision de la cuisine chinoise. Personnelle car cette vision est forcément conditionnée par mon vécu (j’ai grandi entre la Chine et la France), par mon profil (un jeune citadin qui vit loin de la nature), par mon approche à la nourriture (moins de viande, plus de transparence) et mon constat des restaurants chinois aujourd’hui en France. En 5 (longs) points, je vous dresse le portrait d’une cuisine chinoise que j’aimerais voir davantage en France dans les années à venir.
Mais avant, je vais introduire une nouvelle section dans cette newsletter : à vos questions !
Je réponds à toutes vos questions sur la cuisine chinoise. Si elle est pertinente, je partagerai ma réponse en public pour faire profiter toute la communauté. Dans tous les cas, vous aurez une réponse de ma part en privé.
Mon idéal de la cuisine chinoise en France ?
J’aborde ici un concentré de tout ce que j’aimerais voir davantage dans cette cuisine chinoise de France. En 10 mots : plus locale, plus considérée, plus végétale, plus audible et plus décomplexée. Et voici la version longue 👇🏻
Plus locale : une cuisine plus consciente de son environnement
J’ai grandi dans une famille où je n’ai jamais vu de Beaufort, d’endives, de cèpes ou de betterave. Mes parents faisaient l’essentiel des courses dans les supermarchés chinois et ça tombe bien : depuis une dizaine d’années, les rayons sont de plus en plus fournis. L’exotisme des autres était pour moi la norme.
Puis est venu le temps où je m’intéressais à peu plus à la cuisine française, à me balader seul dans les étals et arrivaient les premiers sous qui me permettaient d’aller au resto (on sortait jamais au resto, comme la plupart des familles chinoises). Et la première claque : c’était à Lyon - où je faisais mes études - dans un petit resto,"L’ourson qui boit", tenu par un couple japonais. Je savais pas qu’on pouvait mélanger si subtilement cuisine française et saveurs "asiatiques".1 Et pourquoi pas une cuisine chinoise aux accents français ?
Je vois déjà les sourcils froncés : non je suis pas un ayatollah de la cuisine fusion (surtout quand je vois certains concepts 😅 ) mais la cuisine chinoise mérite de meilleurs ingrédients et donc locaux, en circuit-court et de saison. Je pense aussi que c’est en utilisant au mieux le terroir français que cette cuisine gagnera en visibilité. Comme je l’expliquais dans ce post sur insta sur la cuisine chinoise dans le monde : la cuisine chinoise est devenue plus mainstream (et intéressante) dans les pays où elle s’est mieux adaptée aux produits locaux, comme au Pérou.
Bon évidemment, une grande partie des ingrédients utilisés dans la cuisine chinoise viendra encore de loin : sauce, épices, condiments ou des produits frais qui ne poussent pas sous nos contrés (voire en Europe) comme la racine de lotus ou pousse de bambou. Mais cela laisse tout de même une marge de manœuvre importante au vu de la richesse du terroir, les poissons de la Méditerranée à la charcuterie Basque, des fruits Corses aux légumes d’Ile de France, n’en déplaise aux défenseurs d’une cuisine absolument authentique. D’ailleurs la cuisine authentique est une utopie : la cuisine chinoise en France ne sera jamais la même que celle en Chine - les goûts, la terre, la culture et autant d’autres paramètres sont différents, et tant mieux.
Plus considérée : des restaurants qui ne se limitent pas à ses bouibouis
Est ce qu’il vous viendrait à l’esprit de fêter votre anniversaire ou vos 10 ans de mariage dans un restaurant chinois ? La réponse est probablement non. On associe rarement le resto chinois à un truc cool (genre Le Fooding) ou de la haute gastro (genre le guide Michelin).2
Attention, je ne prône pas une cuisine élitiste. J’ai grandi dans une Chine des années 90 et voue un amour éternel (et nostalgique) à la cuisine de rue. Je suis encore persuadé que les bouibouis de Belleville offrent l’un des meilleurs rapport qualité-prix de Paris (j’attends vos contre-propositions ! En attendant, vous pouvez voir ma carte de meilleurs bouibouis chinois à Paris, déjà consultée plus de 140 000 fois 😱 ). Mais l’engouement pour les bouibouis chinois n’arrive pas à cacher cette perception généralisée : une bouffe cheap, où on vient manger pour son argent.
Et pendant très longtemps, les restaurants chinois en France sont effectivement assez mauvais, incarnés par les traiteurs, qui n’ont d’ailleurs pas trop de leviers que le prix pour attirer les clients. Je ne reviens pas sur les multiples raisons derrière tout ça mais en résumé : 1) très peu de chefs formés à la cuisine chinoise en France, ce qui est toujours le cas d’ailleurs 2) il s’agit plus d’un simple gagne-pain pour la plupart des restaurateurs.
Puis depuis une dizaine d’années, on assiste à une timide révolution (surtout à Paris) avec l’arrivée d’une nouvelle génération de restaurateurs (étudiants Chinois qui sont restés, des Français d’origine chinoise ou des Français qui ont vécu en Chine) qui commence à introduire une cuisine plus régionale, Sichuan en tête mais aussi Shanghai, Yunnan, Nord-Est ou Canton. L’offre de qualité de ne court pas encore les rues, mais c’est encourageant.
Il sera peut être plus très loin le temps où on peut passer d’un bouiboui chinois à un resto plus haut de gamme sans que ça fasse bizarre. Tout comme c’est naturel de passer d’une pizza à 10 balles à un osteria plus classe ou de profiter autant d’un bol de ramen qu’un omakase d’un maitre sushi.
Et pour revenir sur le mot "plus considéré", que j’ai hésité avec "plus cher" : entre nous, le vrai luxe aujourd’hui, ce n’est pas de voir des Xiao Long Bao aux truffes ou du canard laqué servi sur un lit de caviar, mais simplement des plats bien réalisés avec des ingrédients bien sourcés et si possible avec un brin de créativité !
Plus végétal : redonner le premier rôle aux légumes
Alors non, je ne suis pas végétarien mais oui, j’adore les légumes depuis tout petit. Le brocolis, le céleri, l’aubergine, le chou fleur, l’épinard faisaient partis de mes préférés : au wok, en bouillon, braisé ou en farce dans les raviolis. Miam.
Le repas chinois traditionnel est assez frugal : du riz, des légumes, un bouillon, du tofu (qui n’est du tout associé au végétarisme en Chine je le rappelle) et parfois du poisson et un peu de viande. Mais l’explosion économique chinoise est passée par là : alors que la viande jouait plutôt un rôle secondaire, elle est aujourd’hui partout. J’ai grandi avec une grand-mère qui me servait toujours un morceau de porc en plus, car j’en mangeais pas assez selon elle (bon toutes les mamies font ça non ?).
D’un point statistique, la Chine est encore loin des moyennes occidentales mais les écarts se réduisent. Cela se ressent déjà au quotidien : en dehors des grandes villes chinoises, il n’est pas si facile aujourd’hui pour un végétarien de se restaurer car la viande (surtout le porc) est omniprésente : en garniture sur le tofu, dans le bouillon d’une soupe de nouilles, dans la farce d’un bao, et évidemment dans les légumes pour donner plus de goût.
En étant non végétarien mais qui voudrait réduire sa consommation de viande, j’ai toujours l’impression de faire face à un second choix quand je vois une option végétarienne. Et je ne cherche pas à remplacer la viande par des substituts (protéine de soja et viande végétale) que je vois de plus en plus souvent. J’aime les légumes pour ce qu’ils sont et la façon de les cuisiner à la chinoise offre une très bonne alternative pour ceux qui ne connaissent pas. Sautés rapidement au wok => on garde la texture croquante (brocolis, pois gourmand); braisés dans une casserole en terre cuite (clay pot) => ils sont fondants et parfumés à souhait (aubergine, courge); en bouillon et longuement mijoté => c’est l’assurance d’un bol plein d’umami (champignons, tomates) et bien sûr en farce dans toutes les préparations de raviolis, bao ou crêpes (dont la fameuse "crêpe feuilleté à la ciboule" (葱油饼).
En revenant à une cuisine plus végétale, on réapprend une notion qu’on a perdu dans la cuisine chinoise : la saisonnalité. L’immensité du pays, une agriculture productiviste et la logistique ultra développée a fait disparaitre les contraintes de saisons.3
C’est dans ce sens qu’on peut faire mieux pour cette cuisine chinoise de France : exploiter au maximum des légumes qu’on trouve facilement autour de nous et les préparer à la chinoise ! Bon si on pousse cette logique jusqu’au bout, il faudra faire l’impasse sur quelques plats stars en hiver comme les Aubergines Hong Shao (红烧茄子) ou les Oeufs sautés aux tomates (番茄炒鸡蛋).
Plus audible : reprendre la parole pour raconter l’histoire derrière les plats
La cuisine, ce sont des parfums et des goûts, mais c’est surtout des histoires. Et la cuisine chinoise est riche en histoire ! Mais pendant très longtemps, c’est plutôt l’opacité totale qui a primé. Entre les problèmes de langue et une communauté historiquement discrète, les échanges n’allaient pas plus loin que "bonjour, "menu B3" et "au revoir".
Mon but avec Chifan était d’ailleurs parti de ce constat là : il y avait peu de voix qui racontent cette cuisine au-delà des clichés et des recettes. Je suis très loin d’être expert mais le fait d’avoir grandi dans une famille chinoise, d’avoir parcouru pas mal de régions en Chine, de voir la cuisine sous différents angles et surtout de parler plusieurs langues (dont le mandarin) me donnent une infinité de sujets à traiter. La cuisine chinoise est un art de vivre (prendre le dim sum le matin ou le xiao ye tard le soir), une philosophie de vie (la médecine chinoise est intrinsèquement liée à la nourriture, l’équilibre des aliments est très important), des rites différents (partager les plats ensemble). Ce n’est pas toujours facile à transmettre (je me rends compte tous les jours) : il y a souvent quelque chose de "lost in translation" quand on parle d’une cuisine si différente.
D’un point de vue plus pragmatique, c’est aussi de réapproprier le sens des mots et raconter la cuisine chinoise de l’intérieur. On peut appeler ça du storytelling, du personal branding si on veut. Je prends l’exemple d’un restaurant : comme toute entreprise aujourd’hui, elle ne vend pas que des plats, elle vend aussi une déco, des mobiliers, une communication, un service, bref tous les supports qui lui permettent de raconter sa cuisine. Et je le dis sans aucune connotation péjorative si la démarche est sincère et que les plats sont à la hauteur.
Plus décomplexée : libre de faire une cuisine comme on aime
La question de l’authenticité fait souvent débat chez les connaisseurs de la cuisine chinoise. En se baladant sur les sites d’avis chinois (newsavour par ex, très utilisé par les gourmets de la communauté chinoise à Paris), je vois souvent les mêmes avis sur les restos plébiscité dans la presse française : "trop cher, pas assez en quantité, une cuisine trop occidentalisée faite pour les Français".
Il m’arrive d’être d’accord avec certains avis (toujours à prendre avec pincettes), je me rends compte qu’il y a aussi un gros décalage entre un public purement chinois et le public français. Les premiers (forcément plus exigeants) s’attendent à trouver une cuisine radicalement identique à celle du pays et la vue d’un resto trop joliment décoré et rempli de Français est souvent mauvais signe, car la cuisine est forcément "ajustée" pour le palais local. Sans parler d’un mindset et d’une vision de la nourriture aussi très différents4. Je généralise forcément un peu mais c’est ce que je ressens.
Or la cuisine n’est pas un art figé, elle évolue sans cesse (y compris en Chine) et s’inspire des régions qu’elle traverse. J’adore les fritures des Pouilles, les mezze du Liban ou les tsukemono du Japon et si l’envie me prend d’adapter certaines de mes recettes chinoises et que le goût est là, je le ferai sans hésiter.
Cela dit, ce n’est pas une invitation pour valider toutes les offres "fusion street food", très en vogue à l’ère des réseaux sociaux mais pour la plupart vide de sens. J’aime bien l’analogie avec un peintre qui doit d’abord apprendre les techniques classiques du maitre avant de laisser libre court à de nouvelles expériences. C’est pareil avec la cuisine chinoise : comprendre un minimum son histoire, maitriser les techniques de base et on peut envisager de faire de twists et se faire plaisir.
Et j’ai hâte de goûter cette cuisine là.
Voici une newsletter un peu longue pour la reprise, considère cela comme mon manifeste de la cuisine chinoise made in France 🤓. Je reviendrai sûrement plug longuement sur un de 5 points dans le futur.
Bon dimanche et à la semaine prochaine !
Le succès des chefs japonais en France est une source intarissable d’inspiration, j’ai mangé quelques-uns de mes meilleurs repas dans ces tables franco-nippones.
Il y a bien sûr des restaurants chinois dans le Fooding (en général dans la catégorie prix "moins de 15€”). La seule table chinoise étoilée est Shang Palace, restaurant du palace Shangri-La, avec une cuisine classique qu’on trouve souvent dans les grands banquets en Chine (大酒店).
En Chine, on peut voir des tomates toutes l’année vu les différents climats qui existent. La Chine est d’ailleurs le leader mondial - de loin - dans la production de tomates.
Je n’ai par exemple jamais vu un commentaire critiquer sur le sourcing ou la saisonnalité des produits. Certains s’offusquent même qu’on puisse proposer une version veggie d’un plat qui ne serait pas compatible avec le plat d’origine
Je suis tout à fait d’accord avec ce post !
Mois aussi j’adore alliez le meilleur de ce que je maîtrise en therme de cuisine et les produits de saisons !! Bravo !!