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I’m back après une semaine de pause ! On continue cette semaine sur la série “placard de base” avec sans doute l’une des sauces les plus hot du moment (sans jeu de mot): l’huile pimentée. Si vous trainez un peu sur les réseaux sociaux, vous avez dû voir passer des recettes d’huile pimentée en tout genre. On peut aussi penser au duo The Social Food - que vous connaissez forcément si vous trainez sur insta - avec leur hot sauce.
Mais de quoi parle t-on ? Si le terme français est un peu générique, le terme anglais “chili oil”1 désigne plus directement cette huile infusée aux épices et au piment, d’origine chinoise, pour bien la différencier des produits à base de piment qui vous sont peut-être plus familiers : harissa (condiment), Siracha & Tabasco (sauce), huile piquante (italienne et plus particulièrement calabraise) et les différentes poudres indiennes ou mexicaines. Et le piment d’espelette ? On parle de vrai piment là, soyons un peu sérieux.
Ça va être une édition dense en info que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire, j’espère que vous prendrez autant de plaisir à la lire !
Pour rappel, voici la liste de mon placard de base (sauce & huile) :
✅ la sauce soja claire
✅ la sauce d’huître
👉 l’huile pimentée
le vin de shaoxing
le vinaigre de riz noir
l’huile de sésame
Au programme
Topic de la semaine : Le placard de base #3 : l’huile pimentée
Open Mic : je réponds à vos questions
Make me smarter : Fly By Jing, l’histoire d’une huile pimentée premium
Bibliographie
Je lis pas mal d’articles pour chaque édition, essentiellement en anglais et en chinois. Pour garder une trace, j’indique désormais mes sources en note de pages. Pour les plus curieux, vous pouvez y piocher pour en apprendre plus.
Topic de la semaine : l’huile pimentée
Comme les 2 précédentes éditions, je vais reprendre le framework de what, why, how pour que vous ayez une vision globale de ce qu’est une huile pimentée, pourquoi on l’utilise et comment l’utiliser. Mais avant, parlons un peu l’histoire du piment en Chine.
Si la Chine est aujourd’hui le plus gros producteur2 et consommateur de piment au monde, c’est loin d’être le cas il y a encore un siècle. Le piment est originaire d’Amérique centrale, rapporté en Europe par les explorateurs espagnols puis diffusé en Asie vers la fin du 15ème siècle via les commerçants portugais. Pour la petite histoire, le Pape avait à cette époque coupé le monde en 2 : toutes les terres découvertes à l’est des îles Cap Vert (en gros, Afrique et Asie) seraient “données” aux Portugais et l’autre moitié aux Espagnols (en gros, l’Amérique)3. Belle conception du monde.
Revenons à nos piments. Ils débarquent en Chine à la fin de la dynastie Ming (fin 16ème siècle) via les villes portuaires (Ningbo 宁波 à l’est et Guangzhou 广州 au Sud) mais n’intéressaient pas grand monde à part quelques fonctions ornementales (ce qui n’est pas sans rappeler le début des tomates en Europe). Tranquillement, le piment trace sa route en Chine via les grands fleuves et ce n’est qu’aux 18ème siècle qu’on trouve une trace écrite de son utilisation en cuisine dans la province de Guizhou, une région au centre de la Chine historiquement pauvre (qui l’est toujours d’ailleurs) et longtemps difficile d’accès.4
Par manque de sel, la classe populaire se détournait vers cette plante facile à cultiver dans cette région pour pimenter (ok, facile celle là) un peu leur repas. Le piment est aussi utilisé pour préserver et masquer le goût des produits pas toujours au top chez ces paysans miséreux. Pour la classe aisée et les régions côtières bien plus riches, le piment est toujours boudé. Non seulement, ça masquait le goût naturel des produits (notamment des produits les plus délicats), le piment est aussi incompatible avec la vision de la diététique dans la médecine traditionnelle chinoise (MTC) : c’est un “excitant” pour le corps et ramène du “feu” (火). Ce trop plein de “feu intérieur” est mauvais pour le corps (concept quasi impossible à expliquer en français car existe uniquement dans la MTC, mais néanmoins très répandu en Chine encore de nos jours. Il y a un thread Reddit qui l’explique un peu, pour les intéressés).
Quoiqu’il en soit, vers la fin du 19ème siècle, le piment faisait déjà partie de la cuisine populaire de nombreuses provinces limitrophes de Guizhou, notamment le Sichuan et le Hunan. Mais ce n’est qu’au siècle dernier que le piment s’est répandu dans les assiettes de tout le pays. D’abord parce que Mao Zedong déclarait que “ceux qui ne mangeaient pas de piment n’étaient pas des vrais révolutionnaires5” (辣椒革命论). Lui même - un natif de Hunan - était un addict de piment. Et la couleur rouge n’était sans doute pas pour lui déplaire… Mais le vrai tournant a eu lieu après la mort de Mao : le début des réformes économiques dans les années 80 est synonyme d’une migration interne massive. Les minggong 民工, ces travailleurs migrants issus des régions du centre - plus pauvres - vont massivement s’installer dans les régions côtières pour trouver du travail dans les usines, notamment autour de Shanghai et Guangzhou. Ils vont ramener avec eux leur cuisine et plus particulièrement le piment. Aujourd’hui, presque 40 ans plus tard, la cuisine sichuannaise est devenue la cuisine la plus populaire du pays, les restaurants de fondue chinoise (une spécialité sichuannaise) sont partout. En une génération, (presque) tous les Chinois se sont mis à manger du piment.
Voici un très bref résumé de l’histoire du piment en Chine. La base est posée et on peut attaquer au protagoniste du jour. Je finis cette longue intro avec cette carte de piment en Chine : plus c’est rouge, plus on est capable de manger pimenté dans la région.
What : c’est quoi l’huile pimentée à la chinoise ?
Même s’il y a une grande variété d’huile pimentée en Chine, quand on parle de chili oil, on fait en général référence à celle du Sichuan. Si elle est aussi addictive, c’est parce qu’elle n’est pas juste une huile piquante : son parfum est beaucoup plus complexe. Pour bien comprendre, on va essayer de la décomposer.
L’huile : on va d’abord infuser des épices à basse température (110°c - 120°c) dans l’huile (colza ou tournesol) pour en faire une huile parfumée (du genre t’as envie d’en faire ton parfum). Ces épices peuvent grandement varier selon les recettes mais on trouve en général de la badiane, cannelle, laurier, ail, gingembre, ciboule, échalote, clou de girofle, cardamome chinoise et surtout le poivre de Sichuan.
Le poivre de Sichuan : natif du Sichuan et utilisé bien avant l’arrivée des piments. Au parfum légèrement citronné (surtout pour le poivre de Sichuan vert), il est surtout connu pour son effet de picotement voire anesthésiant en bouche. Associé au piment, ils incarnent le “goût” de la cuisine sichuannaise : ma “麻” la “辣” (anesthésiant & épicé) et qu’on retrouve dans la chili oil. Pour avoir une idée de ce qu’est un bon poivre de Sichuan, vous pouvez regarder ici. Et non, on en trouve pas de cette qualité dans les supermarchés chinois en France.
Les piments : en suivant la recette originale, on utilise 3 piments différents pour leur complémentarité (couleur, crunch, degré de piment) et dans des proportions bien précises:
1) 二荆条 (piment Er Jing Tiao, 60%) : peu épicé mais d’un goût légèrement fruité et très parfumé. Sa belle couleur rouge écarlate en fait l’un des piments les plus populaires de Sichuan. A défaut des 2 autres piments, c’est souvent le seul qui sera utilisé pour fabriquer l’huile pimentée.
2) 指天椒 (piment Chao Tian Jiao, 20%) : plus épicé, on l’utilise pour apporter le côté “hot” de l’huile.
3) 子弹头 (piment Zi Dang Tou, 20%) : une sorte d’intermédiaire entre les 2 précédents.=> Les piments sont broyés avant qu’on verse l’huile parfumée dessus. Impossible de trouver ces piments en France (j’ai évidemment cherché) à moins de les importer ou ramener dans sa valise soi-même.
La température de l’huile : on verse traditionnellement l’huile en 3 fois sur les piments, avec le but de dégager un maximum de parfum sans jamais les brûler. La première louche d’huile se situe à 150°c degré, la 2ème vers 110°c puis la dernière vers 90°c. Encore une fois, cette méthode traditionnelle est rarement respectée dans un cadre plus industriel voire même dans la plupart des restaurants sichunnais qu’on trouve en France.
Après tout ce travail : on obtient l’huile pimentée de base (红油), prête à l’emploi. Mais si on veut se rapprocher des versions qu’on trouve en commerce (comme le Lao Gan Ma, la marque culte d’huile pimentée et probablement l’une - si ce n’est LA - des marques de food la plus connue en Chine), il nous reste à rajouter la pâte de soja noir fermenté (豆豉, utilisée dans ma recette de mapo tofu) pour apporter un goût salé et surtout plein d’umami.
Why : pourquoi on utilise l’huile pimentée ?
Parce que c’est addictif ? Blague à part, les personnes habituées au piment ne peuvent pas s’empêcher d’en mettre partout et il y a une raison derrière ça. La sensation de chaleur en bouche provoquée par le piment est dû à un composant chimique, le capsaïcine. Lorsque le corps le détecte, tout un mécanisme défensif se met en place : on transpire, les larmes arrivent, la peau devient rouge, le tout dans un effort de refroidir le corps. Le cerveau libère aussi des endorphines et des dopamines (oui, comme quand tu joues à CandyCrush) qui procurent une sensation de bien-être.6
Vous mélangez cela avec une huile parfumée (le gras 😏 ) et le poivre de Sichuan (son côté anesthésiant renforce la sensation de piment, sans que ça soit forcément plus piquant), et c’est le grand chelem du plaisir.
Dans un registre plus populaire, on explique l’usage du piment pour 2 raisons en Chine :
C’est un produit qui ouvre l’appétit (开胃)
C’est un produit qui permet de lutter contre “l’humidité interne” (encore un concept de la MTC). La région de Sichuan est très humide (plutôt à cause sa topographie - un bassin entouré de montagnes - plutôt que de sa latitude) et la consommation de piment permet d’éliminer le surplus d’humidité stocké dans le corps via la transpiration. Mais cette explication - largement répandue dans le pays - n’est pas très scientifique car les régions humides du sud ne mangent pas vraiment de piments alors qu’au contraire, les habitants du Shaanxi, une région très sèche, au nord, sont des grands amateurs.
How: comment utiliser le chili oil ?
Traditionnellement, c’est un condiment qui sert de base pour une sauce (par exemple : chili oil + crème de sésame + huile sésame + tofu fermenté + sauce soja claire + coriandre = ma sauce préférée pour une fondue chinoise ) ou tout simplement un topping qu’on verse directement sur différentes préparations comme les nouilles, les raviolis, du riz ou n’importe quel plat sauté. On évite de l’utiliser pour la cuisson pour préserver son parfum.
De nos jours, le chili oil est devenu un produit globalisé, vous pouvez l’utiliser comme bon vous semble. J’en ai déjà vu sur des pizza, sur du ceviche et même sur des boules de glaces. Too much ? Je vous laisse faire votre propre avis.
Je termine comme souvent le topic de la semaine par une vidéo. Voici encore une excellente vidéo de “China Cooking Demystified” sur le “Lao Gan Ma” et comment ils ont essayé de la reproduire à la maison. A défaut, vous allez pouvoir en trouver dans tous les supermarchés chinois : viser les mots “chili crisp”, c’est la version originale :)
Open Mic
Chaque semaine, je réponds en public à vos questions sur la cuisine chinoise. Je ferai une sélection mais vous recevez dans tous les cas une réponse, en public ou privé.
Questions et réponses en détail :
Questions de Mada
Cuisine chinoise variée pour les vegans, c'est quoi? Riz ou nouilles sautées aux légumes + tofu surement n'est pas notre seule option, n'est-ce pas?
Ma réponse
Salut Mada,
Si j’étais végan, je dirais que la cuisine chinoise permet plutôt de cuisiner les produits qu’on connait différemment plutôt que de nouveaux produits. Il n’y a pas vraiment d’ingrédients secrets dans la cuisine chinoise adaptés aux végans. Alors bien sûr, il y a des légumes différents, des légumineuses différentes et tout type de produit à base de soja dont le tofu etc… mais apprendre à cuisiner le même produit différemment est bien plus puissant et utile. Exemple avec l’aubergine : je peux faire une parmegiana (Italie), un baba ganoush (Liban) et bien sur des aubergines hong shao, aubergines yu xiang ou encore des aubergines froides à l’huile pimentée pour rester dans le thème du jour. Liste non exhaustive mais que des plats que j’adore :)
Make me smarter : Fly By Jing, l’histoire d’une huile pimentée premium
L’huile pimentée est partout en ce moment aux Etats-Unis : des chefs stars comme David Chang (avec sa marque Momofoku) aux restaurants chinois populaires (comme Xi’an Famous Food) en passant par les chaines de supermarchés généralistes (comme chez Trader Joe), tout le monde essaie de surfer sur ce produit devenu un best-seller. Mais j’ai envie de vous présenter une marque en particulier : Fly By Jing et surtout sa fondatrice, Jing Gao.
En quelques mots, Fly By Jing se décrit comme la première marque premium sur la cuisine chinoise, aux Etats-Unis. Le produit phare est évidemment une huile pimentée fabriquée à Chengdu avec les ingrédients de première qualité. Chouchou des médias (pas moins de 5 articles rien que sur New York Times), la marque fait aussi une percée dans la grande distribution (Target, Costo ou Whole Foods). Je le précise car les supermarchés restent un point de contact essentiel dans ce type de produit “exotique” avec le grand public. La dernière fois que j’ai regardé le rayon “Asie” d’un Monoprix, je tombe encore sur ce genre de pépite :
Mais ce qui m’intéresse le plus dans cette marque, c’est l’histoire de sa fondatrice. Jing Gao (on prononce d’abord le nom puis le prénom en chinois) est une cheffe sino-canadienne née à Chengdu mais a grandi à Toronto. Nos chemins se sont croisés (enfin presque) à Shanghai en 2013 : j’y étais en échange universitaire et c’est à la même époque qu’elle y avait lancé son restaurant éphémère nommé Baoism. Je ne me rappelle plus si je l’avais vu mais ce fût le premier gua bao de ma vie.
Je suis retombé que récemment sur son excellent blog où elle raconte sans fard son aventure entrepreneuriale dans la “saucy business” comme elle l’appelle. Si vous devez lire qu’un seul article, ce serait celui-ci où elle raconte les coulisse sur la fabrication d’une sauce de bonne qualité à grande échelle en Chine. Et croyez-moi, vous allez apprendre tellement plus qu’une histoire de sauce.
Si son blog fait autant écho chez moi, c’est que je m’y retrouve un peu dans son profil, sa vision de la cuisine chinoise et son parcours est forcément inspirant. Alors non, je ne compte pas me lancer dans le business de chili oil tout de suite mais je reste persuadé qu’il y a beaucoup de place en France pour une cuisine chinoise plus authentique, plus qualitative et plus transparente, quelque soit la forme (restaurants ou dark kitchen, plats préparés ou surgelés, condiment ou sauce), en somme une marque premium comme Fly By Jing. Mais on a le temps d’en parler longuement dans une prochaine édition.
Bon, sinon sa chil oil, elle est comment ? Je viens de commander sur cette boutique bordelaise (la seule à la distribuer en France je crois) et je vous en dirais des nouvelles :)
C’est tout pour cette semaine ! Rdv la semaine prochaine pour un nouveau thème !
Et n’oubliez pas de mettre un petit ❤️, histoire de savoir si le contenu vous intéresse ou non !
Bonne semaine to all of you,
Handa
https://en.wikipedia.org/wiki/Chili_oil
https://en.wikipedia.org/wiki/Chili_pepper#Productio
https://en.wikipedia.org/wiki/Treaty_of_Tordesillas#/media/File:Iberian_mare_clausum_claims.svg
https://www.thepaper.cn/newsDetail_forward_1492201
https://visualisingchina.net/blog/2020/05/15/guest-blog-the-chile-pepper-maos-little-red-spice/
https://thechilliproject.com.au/addicted-to-chilli-theres-a-reason-for-that/
Un peu de retard dans ma lecture des newsletter... Encore un sujet intéressant et surtout j, apprécie les liens que tu donnes pour découvrir un peu plus. C'est marrant d,en apprendre plus sur baoism ou pour ma part, j,y ai découvert les chips de racine de lotus ...
Encore un top article ! J'aime beaucoup la crisp chili oil de la marque Master Sauce (marque taïwanaise distribuée chez Tang Frères). Je la trouve plus parfumée que Lao Gan Ma.
Sweet Pepper fait un pop-up à Paris en juin, j'espère y trouver Fly By Jing, ça a l'air d'être une tuerie !!