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La semaine dernière, j’étais chez un pote qui aime bien cuisiner et il m’a dit un truc :”en vrai c’est cool tes recettes mais j’avoue que je suis un peu rebuté chaque fois quand je vois qu’il faut plein de sauces”. C’est une remarque que j’entends assez souvent et que je comprends totalement. Personne n’a envie d’acheter une énième sauce pour s’en servir qu’une seule fois avant de rejoindre le fond du placard.
Du coup, j’ai décidé d’entamer une série sur les sauces - au sens large (en gros les produit liquides) - que j’utilise le plus. Et voici la liste :
la sauce soja claire
le vin de shaoxing
le vinaigre de riz noir
la sauce d’huître
l’huile pimentée
l’huile de sésame
Mais au lieu de vous dresser juste une liste de sauces (le fameux “what”) et vous demander de les acheter, je vais tenter de vous expliquer pourquoi une telle sauce est utilisée (le “why”) et comment vous pouvez vous l’approprier dans votre cuisine de tous les jours, sans que ça soit forcément une recette chinoise d’ailleurs (le “how”).
Et on commence tout de suite avec la mère des sauces : la sauce soja.
Au programme
Topic de la semaine : Placard de base #1 : la sauce soja
Open Mic : je réponds à vos questions
Make me smarter : Mao, le président qui n’aimait pas la sauce soja
Recette de la semaine : mapo tofu
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🚨 Une info en exclu
- J’ai mis à jour mon site et sorti une page dédiée pour les food tours. Quelques créneaux sont dispo pour le mois d’avril (si la date n’est pas visible dans le calendrier, c’est que c’est complet…)
- Je cherche à recruter une personne pour assurer certains food tour à l’avenir. Détails du poste ici.
Topic de la semaine : Placard de base #1, la sauce soja
Bon la sauce soja, tout le monde connait. J’ai moi même déjà fait plusieurs post insta sur ce sujet (ici et ici). Mais la sauce la plus utilisée dans la cuisine chinoise mérite qu’on s’y tarde un peu.
Le what : c’est quoi la sauce soja ?
Quand on parle de la sauce soja (jiang you 酱油 en chinois, qui est devenu “shoyu” en japonais), on désigne par défaut la sauce soja claire pour distinguer de la sauce soja foncée, que je n’ai pas inclus dans la liste d’ailleurs car moins utilisée et pas indispensable (choix très personnel).
Dans sa version traditionnelle, la sauce soja est un produit fermenté issu de 4 ingrédients : soja, blé, sel et eau. Des variation locales peuvent exister comme à Taiwan où on utilise plutôt le soja noir (black soybean) cultivé localement. Kikkoman a un site étonnamment bien fait sur les étapes de fabrication. Mais en quelques mots :
Le soja est chauffé à haute température à vapeur et le blé est grillé puis broyé
On y ajoute l’Aspergillus, une sorte de moisissure “noble” qui va servir de base à la fermentation. Le résultat du mix soja + blé + Aspergillus après quelques jours s’appelle Koji. C’est sans doute l’ingrédient le plus important dans toute la cuisine de l’Asie de l’est. Les alcools de riz (saké 🇯🇵, 🇰🇷 Makgeolli 🇰🇷, vin de shaoxing 🇨🇳), les pâtes fermentées (miso, tian mian jiang) et autres innombrables produits sont faits à partir de koji.
On rajoute ensuite l’eau et le sel. Le sel permet de contrôler la prolifération des bactéries et donne le goût salé de la sauce soja. Le tout est transféré dans des contenants immenses en inox (ou en terre cuite ou bois, mais très rare) pour commencer la fermentation. Toute la complexité, les arômes, le fameux umami se développent à cette étape, selon la durée de la fermentation. A partir de 120 jours, on est déjà sur du haut de gamme.
A la fin de la fermentation, pressage puis filtrage pour récupérer enfin la sauce soja !
Si la fabrication vous intéresse : une bonne vidéo vaut 1000 mots et je vous en offre 2, qui vous montrent toutes les étapes dans la pure tradition japonaise (ici et ici)
Le why : pourquoi on utilise la sauce soja ?
Je vais reproduire ici le passage que j’ai trouvé sur le site de Kikkoman et que je trouve assez pertinent :
En Orient comme en Occident, les hommes ont cherché pendant des siècles des moyens de conserver les aliments. L’expérience leur a appris que le sel permet non seulement de conserver les aliments, mais aussi qu’il en améliore le goût.
Dans la Chine ancienne, les aliments conservés et les condiments correspondants étaient appelés «jiang» et ils sont probablement les précurseurs de ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de sauce soja. On fabriquait différentes sortes de «jiang» à base de poisson, de fruits de mer, de légumes et de céréales. Les céréales étant les ingrédients les plus faciles à obtenir et à transformer, les recettes de «jiang» à base de graines de soja et en particulier de blé se sont développées plus rapidement que celles à base d’autres aliments.
La sauce soja donne ce goût appelé umami qu’on traduit souvent par “savoureux” et très recherché dans la cuisine chinoise. En réalité, c’est difficile de décrire la saveur umami, si ce n’est que ça rend les plats meilleurs, comme mon grand-père me le disait. Mais l’umami seul n’est pas forcément agréable (ceux qui ont déjà pris du glutamate en petite cuillère le savent, et oui je l’ai fait que j’étais gosse), c’est une sorte d’amplificateur de goût en présence d’autres saveurs.
Il ne faut pas pour autant réduire l’umami à un concept oriental malgré son nom japonais. On retrouve ce goût dans nombreux produits naturels : tomates mûres, champignons, viande fumée, poisson séché. On utilisait déjà le garum, une sorte de sauce poisson comme le nuoc mâm (probablement puissance 10 😅), dans la Grèce antique. Récemment, Noma (l’un des restos les plus expérimentaux dans le monde) a sorti une sauce à base de koji, sel et champignons (voir la photo ci-dessus), qu’ils ont baptisé “garum” (en version 2022, donc forcément vegan, gluten & soy & dairy free) et censé pouvoir remplacer la sauce soja.
Le how : comment on utilise la sauce soja ?
Si dans la cuisine japonaise, le sauce soja est le plus souvent utilisée comme “dipping sauce” (penser au sushi ou à la sauce mentsuyu des nouilles soba), c’est simple dans la cuisine chinoise : elle est partout.
Dans les plats sautés : c’est l’usage le plus commun => on faut chauffer le wok, on rajoute de l’huile, puis les ingrédients principaux et la sauce soja. Il y a pleins de recettes sur mon insta qui suivent ce schéma : comme les tofu parfumés, le riz sauté ou les aubergines sautées.
Dans les plats mijotés : on retrouve la sauce soja dans beaucoup de bouillon. C’est aussi dans les plats mijotés qu’on utilise pas mal la sauce soja foncée, pour son rôle de colorant, comme ici avec la poitrine de porc fondante aux moutardes séchées, aka le meilleur plat du monde avec un bol de riz.
Comme marinade : la marinade de viande et dans une moindre mesure le poisson est très commune dans la cuisine chinoise. D’un côté pour enlever les mauvaises odeurs (fishy smell) avec notamment le gingembre et de l’autre côté pour faire pénétrer le goût (ru wei, 入味) avec entre autres la sauce soja. Par exemple, pour les zong zi, la farce en viande est souvent marinée avant la cuisson dans le riz gluant.
Comme sauce à mélanger : ici, la sauce soja est ajoutée à la fin, hors feu et juste avant de servir, comme dans la recette des oeufs en flan salé ou la salade de tofu soyeux. Certains adorent l’arroser sur le riz directement ou en faire une sauce à salade. Pourquoi pas, tout est possible !
Comme sauce à tremper : le goût de la sauce soja cuite et non cuite est différent, raison pour laquelle on réserve souvent la bonne sauce soja comme sauce à tremper (dans la même logique qu’on évite de gâcher une bonne huile d’olive comme simple huile de cuisson). Ici les possibilités sont infinies mais la sauce soja est rarement utilisée seule : des raviolis (sauce soja + vinaigre de riz + gingembre), avec des aliments frits ( sauce soja + huile pimentée) ou pour accompagner une fondue chinoise (sauce soja + vinaigre de riz + pâte de sésame + herbes fraiches).
Mais pour vraiment vous l’approprier, penser à l’associer avec des produits qui vont sont déjà familiers. La sauce soja est naturellement salée donc on cherche à équilibrer le goût en amenant de l’acidité (jus d’agrume, vinaigre), du sucré (miel, sirop) voire de l’amertume (goût très utilisé dans la cuisine chinoise mais moins apprécié j’ai l’impression en France, mais ce sera pour une autre édition 😅 ).
Un exemple perso : j’aime bien tenter des associations de goût avec les sauces & condiments qui apportent le goût salé. Pourquoi ne pas mettre un peu plus de nuoc mâm dans mon riz sauté et moins de sauce soja, si je rajoute du miso dans un plat, je vais diminuer mon apport de sel. Certes, c’est l’expérience qui vous rendra un peu plus audacieux(se) dans vos essais mais sentez-vous libre d’utiliser un produit “exotique” dans votre cuisine de tous les jours : la sauce soja, ce n’est pas que pour les sushi.
Et le shopping ?
J’ai fait exprès de ne pas vous donner des conseils d’achat car c’est…. compliqué. Alors il y a bien sûr les bases comme acheter toujours une sauce soja naturellement fermentée, sans autres additifs que les matières premières et si possible avec du soja bio. Mais une fois qu’on a dit ça, il reste tellement de types de sauce soja au goût & couleur & texture plus ou moins différents. Rien qu’au Japon, il y a 5 grandes familles de sauce soja.
Si on considère en général que la sauce soja japonaise (mais aussi taiwanaise mais quasi introuvable en Europe) est meilleure car respecte mieux les méthodes traditionnelles, elle est pas forcément au goût des palais chinois et ne “marchent” pas avec nombreuses recettes chinoises. Un exercice assez subjectif donc.
Open Mic
Chaque semaine, je réponds en public à vos questions sur la cuisine chinoise. Je ferai une sélection mais vous recevez dans tous les cas une réponse, en public ou privé.
Question de Katharina
Je souhaite faire un atelier de cuisine Xiao long Bao et wontons tu en connais sur paris ?
Ma réponse
Salut Katharina,
Malheureusement, je connais aucun atelier qui fait des Xiao Long Bao à Paris. Pour les wontons, tu peux peut-être trouver ton bonheur ici. Etonnamment, il y a très peu d’offres de ce type à Paris. Il y a soit les ateliers de cuisine généraliste qui propose des cours de cuisine “asiatique”, la plupart sans intérêt si tu as un minimum d’exigence. De l’autre côté, les restaurants spécialistes ou des chefs pros n’en proposent pas - sinon de façon exceptionnelle. Il reste des cuisiniers amateurs genre la “maman chinoise” et les “ayi” qui ont largement le niveau pour donner des cours mais il y a souvent la barrière de la langue. Affaire à suivre.
Question 1 de Felix
Est ce que tu te sentirais de faire un article/une série d’articles sur les différentes cuisines régionales chinoises, leur spécificités et leurs influences sur ce qu’on appelle LA cuisine chinoise.
Ma réponse
Hello Felix,
Definitly ! C’est un vaste sujet comme tu peux l’imaginer. J’aimerais le traiter un peu à ma façon plutôt que vous balancer les 8 grandes cuisines régionales façon Wikipédia comme on voit souvent dans la presse française (oui, petit tacle gratuit 🤓). Pourquoi pas inviter une personne spécialiste pour chaque région. A voir :)
Question 2 de Felix
En Chine j’ai très souvent eu du mal à comprendre le bagage poétique/ésotérique de certains plats chinois. J’aimerai beaucoup mieux comprendre les liens entre poesie et cuisine.
Ma réponse
La poésie est évidemment très présente dans la cuisine chinoise. Mais il est compliqué de saisir la subtilité quand on ne parle pas chinois ou du moins avoir une certaine compréhension de la culture. Je te donne 2 exemples.
=> Le nom des plats : il est très difficile de traduire certains plats sans la référence culturelle. On est alors obligé de se rabaisser à une traduction très terre-à-terre qui enlève tout le charme du nom chinois (comme la recette de la semaine dernière “mango sago pomelo” dont le nom original est bien plus intéressant). Et ça vire parfois au WTF, fou rire garanti.
=> Le dressage des plats: je te laisse avec ce compte insta qui est une vraie perle. Le kitsch is the new sexy.
Question 3 de Felix
Un livre de cuisine chinoise à recommander? Qui ait si possible une déclinaison régionale et qui ne soit pas « la cuisine chinoise facile » car je veux en toucher la complexité culturelle en cuisinant, pas juste manger
Ma réponse
J’ai rien en tête comme ça…j’ai celui de Phaidon chez moi que je trouve pas dingue. Le dernier livre sur la cuisine chinoise qui m’a vraiment plu (et pas en chinois), c’est celui de Fuschia Dunlop. Ce n’est pas un livre de cuisine (même s’il y a quelques recettes dedans) mais plutôt un mémoire de sa vie dans le Sichuan dans les années 90. Au delà d’une connaissance indéniable de la cuisine Sichuannaise, c’est cette mise en perspective de la cuisine chinoise avec le regard d’une étrangère qui est très intéressante. Raison pour laquelle le livre a été traduit en chinois (chose impensable) et a été un gros succès là bas. Le livre est par ailleurs bien écrit, ce qui rend la lecture encore plus agréable (en anglais uniquement je précise).
Make me smarter : Mao, le président qui n’aimait pas la sauce soja
La poitrine de porc braisée (hong shao rou, 红烧肉) est l’un des plats les plus connus de la cuisine chinoise (et la poitrine de porc est le morceau de viande préféré des Chinois). Le fait que ça soit le plat préféré de Mao Zedong n’y est sans doute pas pour rien dans cette popularité.
Mais la version du Grand Timonier a une particularité : il n’y a pas de sauce soja, ingrédient classique de tous les plats hongshao. D’après les mémoires de son chef personnel Cheng Ruming, qui a officié auprès de lui pendant 22 ans, Mao ne consommait pas du tout de sauce soja. La raison ? Durant sa jeunesse, la famille de Mao possède une fabrique de sauce soja. Un jour, le petit Mao (oui c’est bizarre de dire petit Mao) a soulevé le couvercle d’un des jars dans lesquels fermentent la sauce soja et ce qu’il a vu l’a traumatisé à vie : des petits vers blancs semblables à des asticots flottent à la surface de la sauce soja, sans doute une fermentation qui a mal tourné.
Pour s’en accommoder, le chef Cheng a dû ruser. Pour reproduire l’aspect rouge ambré caractéristique du HongShao (红烧, littéralement “braisé rouge”), il va caraméliser le sucre, en ajoutant du sel, avant de mélanger avec le porc. A Shaoshan dans le Hunan, ville natale de Mao, les officiels ont même tenter d’imposer une version officielle du “chairman mao red-braised pork belly”. Même si dans la réalité, plusieurs versions sont couramment cuisinées, avec ou sans sauce soja.
Recette de la semaine : mapo tofu
ps: il faut cliquer sur l’image pour lancer la vidéo
☘️ Saisonnalité : si tu arrives à trouver du bon tofu frais, ça peut partir sur du mapo tofu quand tu veux
👩🏻🍳 Difficulté : le plus dur dans cette recette, c’est de trouver les ingrédients (et je ne parle pas de ma recette qui est déjà une version simplifiée). Mais si tu aimes la cuisine sichaunnaise (nouilles dan dan, fondue chinoise, les raviolis épicés), il serait peut-être se fournir en produits basiques
❤️ Why I like it : un plat ultra réconfortant entre la texture soyeuse du tofu, les ingrédients riches en umami (les pâtes fermentées et le shiitake séché) et le côté épicé qui réchauffe la langue.
La liste des ingrédients sont sur instagram, dans la description de la video
Le mapo tofu est un peu le bestseller des restaurants chinois, qu’ils soient d’ailleurs sichuannais ou pas d’ailleurs. Je vais lister quelques questions qui reviennent assez souvent sur ce plat :
Quel tofu ? En général, on préfère le tofu soyeux pour sa texture mais plus compliqué à manier car très fragile donc on conseille du tofu un peu plus ferme pour les débutants. Mais il n’y pas de règle strict, même dans le Sichuan.
Une version sans piment ? Je comprends que certaines personnes ne supportent pas le piment mais j’ai un peu mal à concevoir ce plat en mode '“non épicé”. C’est un peu le boeuf bourguignon sans vin rouge, la raclette sans charcuterie.
Une version végé ? : même si ce n’est pas le cas à l’origine, on sert souvent aujourd’hui le mapo tofu avec de la viande hachée (porc ou boeuf). Pour l’avoir essayé en version végé simple (sans shiitake donc), la différence est palpable. Le goût de la viande (réaction de Maillard => umami) apporte un vrai plus à ce plat. L’utilisation de shiitake (séché plutôt que frais, car beaucoup plus de saveur) permet de compenser en partie (pas totalement si j’étais honnête) ce manque.
Je vous laisse sur une version d’un vrai chef Sichunnais qui apporte un bon nombre de précisions que j’ai laissé de côté pour la vidéo : pickle de piment, piment frais du Sichuan au couteau, l’ajout en 3 fois du slurry - le mélange eau & fécule en fin de cuisson. Le diable est dans les détails.
C’est tout pour cette semaine ! Rdv la semaine prochaine pour un nouveau thème !
Et n’oubliez pas de mettre un petit ❤️, histoire de savoir si le contenu vous intéresse ou non !
Bonne semaine to all of you,
Handa
Bonjour! je me permets de rebondir sur la question des livres de cuisine et de suggérer quelques livres sur les cuisines chinoises locales. Le livre de Carolyn Phillips "All under heaven. Recepies from the 35 cuisines of China." est vraiment une bonne entrée en matière entre recettes, dessin et explications pertinentes de l'autrice. Georgia Freedman avec "Cooking south of the clouds. Recepies and stories from China's Yunnan Province." Et enfin un livre de Betty Liu "My Shanghai. Recipes and stories from a City on the Water." qui insiste sur les saisons des recette qui te tient a cœur.
Merci pour les informations, point de vue et le travail que tu partage avec tes newsletter!