Tu parles chiponais ?
Hello,
Cette semaine, je fais une incursion dans la cuisine japonaise. Enfin, une petite incursion car je vais parler des "chiponais".
Chiponais ? Ce sont les restaurants japonais tenus par des Chinois et il est très probable que tu en connaisses déjà quelques-uns, pas loin de chez toi. En effet, la majorité des restaurants dits japonais en France sont des "chiponais" et je vais te raconter leur histoire aujourd'hui.
Si le premier restaurant japonais à Paris fût ouvert en 1954 (moi qui pensais que ce serait beaucoup plus tôt), le grand public a vraiment découvert le cuisine japonaise à partir des années 80.
Pas très étonnant à une époque où le "Made in Japan" s'imposait partout : voiture, électronique, jeux vidéo, manga. La cuisine n'en était pas en reste. Mais entendons bien que par cuisine japonaise, les gens pensent surtout sushi.
Cette cuisine japonaise était alors exotique et bénéficiait d'une excellente image : saine, peu calorique, pas grasse, notamment comparée aux autres cuisines asiatiques. Autant dire une opportunité business en or.
Car à partir des années 90 et surtout les années 2000, le marché des traiteurs chinois commence à saturer. C'est alors que les premiers "chiponais" ont fait leur apparition.
Comment reconnaitre les "chiponais" ?
A moins d'habiter dans le quartier japonais de ta ville, il est probable que le restaurant japonais à côté de chez toi soit un "chiponais". Voici quelques règles pour avoir le coeur net.
🀄️ Nom
9 fois sur 10, il est possible de deviner l'origine du restaurant dès la recherche Google, sans même regarder les photos. Il faut dire que les patrons ne se sont pas beaucoup creusé les méninges pour nommer leur bébé. On arrive ainsi à des résultats qui font sourire mais qui laissent parfois perplexe, si tu parles un peu japonais. Pour t'aiguiller, voici les 4 catégories possibles :
Ceux qui se la jouent safe : Nagoya Roll, Edo Sushi, Sakura, New Kyoto
Ceux qui tentent de tout mettre : SushiYaki, Maki Sushi Tokyo (🥇 )
Ceux qui essaient d'innover mais se plantent : Sizuku (mélange de Suzuki et Shinjuku ?), Itadaki (sans "masu"), Yokhama (au lieu de Yokohama ?)
Ceux qui sont en freestyle complet : La Marina ( le resto n'est même en bord de mer), Yamadaya (ça sonne japonais mais ça veut rien dire), Yakiniku (littéralement "viande grillée" mais pour un resto de sushi...)
ps: pour les malins, tous ces restaurants existent, si ça t'amuse d'aller vérifier sur google.
🏮 Décoration
Pour entrer dans le clan des "chiponais" , il y a quelques règles de déco à respecter et ça commence dès la devanture.
Du rouge tu en mettra : Si la couleur rouge est la couleur porte-bonheur en Chine, je soupçonne plutôt une stratégie visuelle pour se démarquer. En tout cas, difficile de rater un "chiponais" quand tu passes devant : lanterne, l'enseigne, le rideau, le rouge est omniprésent.
Du menu XXL tu montrera : Si tu es du genre à regarder le menu entier avant de se décider, tu n'aura pas à chercher bien loin devant un "chiponais". Le menu, haut en couleur, toujours avec des photos, est en format A3 minimum dans la vitrine.Bon à ce stade, tu es quasiment sûr(e) d'être devant un "chiponais", mais pour achever tes derniers doutes, voyons ce qu'il y a à l'intérieur.
Des néons tu ajoutera : la petite lumière tamisée est toujours tendance dans beaucoup de "chiponais" : de bleu, du rouge, du violet. Je soupçonne fortement l'artisan de pousser un peu trop à la vente.
Du Kikkoman tu donnera : Kikkoman, du nom de la marque de sauce soja que tu trouves quasiment sur les tables de tous les "chiponais", à croire que l'entreprise a signé un contrat d'exclusivité. Sans oublier le petit verre à pied juste à côté, on boit bien du rouge dans un restaurant japonais non ?
🍣 Menu
Si certains se permettent parfois quelques libertés, le menu dans un "chiponais" suit aussi un protocole très précis. Voyons dans l'ordre :
Un système de menu en chiffres et lettres (A1, B2) ; des photos pour tous les plats ; le tout sur du papier plastifié. Rien de tout ça dans un japonais classique.
Aucun mot japonais à l'horizon.
Buffet à volonté, bobun, nems, porc caramel... le chef a sans doute trop voulu montrer son talent mais c'est en général pas très bon signe...
Le choix de poisson est limité pour les sushis : saumon, thon, daurade et maquereau alors que dans un vrai resto de sushi tu peux t'attendre à un choix beaucoup plus large : bonite, barbue, chinchard, anguille, thon rouge, ou encore du thon gras
Tu commandes enfin et on t'apporte ta soupe miso ou plutôt ta soupe instantanée dans laquelle on rajoute du tofu et champignons. Ce n'est pas mauvais mais il faut savoir qu'une soupe miso maison se prépare avec le dashi et la pâte miso, et le goût n'a rien avoir selon le miso que tu choisis.
Pour accompagner ta soupe miso, tu as toujours ta salade de choux ou ta salade d'algues (wakame). Dans la cuisine japonaise, c'est beaucoup plus variée. Les accompagnements ("aemono") varient selon la saison avec des légumes assaisonnés comme les haricots verts, pomme de terre cuite, aubergine, épinard.
Enfin tes sushis arrivent, tu te rues sur la sauce soja "sucrée" Kikkoman. Si tu étais au Japon, désolé de t'apprendre que tu aura le choix entre du wasabi frais et de la sauce soja salée, c'est tout. La sauce sucrée est généralement réservée au yakotori (les brochettes).
Mentions spéciales aux" brochettes boeuf au fromage" et les "maki au nutella" qui sont des créations purement françaises. Mais qui sait, on les verra peut être un jour dans un restaurant à Tokyo.
Bon tu aura compris que je ne suis pas un grand fan de "chiponais" mais la plupart des gens dans mon entourage adorent et je les comprends totalement.
Ces restaurants ont eu au moins le mérite de rendre la cuisine japonaise, aussi partielle qu'elle soit, accessible à tous. Ils ont peut-être réveillé l'intérêt de certains à s'aventurer plus loin dans cette merveilleuse cuisine. Si tu fais parti(e) de ceux là, voici quelques idées pour en apprendre plus.
Le gourmet solitaire de Masayuki Kusumi (Manga)
On suit Goro, un commercial à l'appétit d'ogre dans ses aventures culinaires à travers Tokyo et ailleurs. Au fil des pages, on se laisse entrainer dans les restaurants de quartier et les izakaya à l'ancienne (le manga est sorti en 1997). Chaque chapitre est consacré à un plat, souvent la spécialité locale. Attention, ne pas le lire quand tu as faim, je t'aurais prévenu.
Midnight Diner : Tokyo Stories (Série Netflix)
Le décor est installé dans un izakaya dans le quartier de Shinjuku à Tokyo, ouvert tous les soirs entre minuit et 7h du matin. Le chef y accueille une clientèle diverse, perdue dans le vacarme nocturne de Tokyo. Les histoires personnelles et les plats du chef se croisent pour dresser un portait humaniste du Japon moderne. Basé sur le manga culte du même nom de Yarō Abe, les 2 dernières séries sont dispo sur Netflix. Chaque épisode se porte sur un plat simple, traditionnellement servi dans les izakaya.
Bon dimanche et à la semaine prochaine,
Handa